Crise sanitaire, confinements subséquents, nécessaire réduction des interactions sociales et des déplacements… : tout cela a conduit à une explosion du télétravail.
Certains, salariés comme employeurs, y ont finalement pris goût (moins de transport, souplesse dans l’organisation du travail…)
Suite à cette expérience et postérieurement à la période que nous vivons, certaines entreprises pourraient donc être tentées de généraliser le télétravail au quotidien, d’autant plus que celui-ci permet une réduction des coûts (immobiliers notamment).
Le recours à ce mode d’organisation du travail a au demeurant été facilité par l’ordonnance du 22 septembre 2017 ; il n’est désormais plus impératif de régulariser un avenant au contrat de travail des salariés concernés.
L’employeur pourrait-il pour autant contraindre un salarié à rester en télétravail à 100% ?
Dans l’absolu, la réponse est négative.
Le passage en télétravail repose en effet sur le principe du volontariat.
Ainsi et sauf circonstances exceptionnelles (épidémie, épisode de pollution), le télétravail doit nécessairement être accepté par le salarié pour pouvoir être mis en place.
Le législateur a d’ailleurs pris soin de préciser que « le refus d’accepter un poste de télétravailleur n’est pas un motif de rupture du contrat de travail » (article L 1222-9 III du code du travail).
La solution est dès lors claire : un salarié ne peut pas être licencié sur la base de son refus de faire du télétravail et on ne peut – en temps normal – le lui imposer.
Qu’en serait-il toutefois si l’employeur invoquait des motifs économiques à l’appui de sa décision de mettre en place le télétravail ?
Un licenciement pour motif économique peut intervenir à la suite d’un refus par le salarié de la modification d’un élément essentiel de son contrat de travail, proposée en raison de difficultés économiques, de mutations technologiques ou de la nécessité de réorganiser l’entreprise pour sauvegarder sa compétitivité.
Cette possibilité est prévue à l’article L 1233-3 du code du travail.
Ainsi et à titre d’illustration, lorsqu’un salarié refuse un changement de son lieu de travail hors secteur géographique, la Cour de cassation reconnaît – malgré tout – la validité du licenciement dès lors que la modification du contrat de travail envisagée par l’employeur résulte d’un motif économique réel (Soc 11 juillet 2018 n°17-12747 et 17 avril 2019 n°17-17880).
Dans le même sens, si un employeur envisage un passage en temps partiel et que la réduction du temps de travail proposée est justifiée par des difficultés économiques, le refus du salarié pourra entraîner son licenciement pour motif économique.
Dans de telles hypothèses, le licenciement n’est alors pas fondé sur le refus du salarié d’accepter la modification de son contrat de travail, mais sur le motif économique invoqué par l’employeur.
Qu’en serait-il donc s’agissant du télétravail : l’employeur pourrait-il – de la même manière – faire valoir un motif économique pour justifier et imposer un télétravail à 100% ?
Il ne semble pas que la Cour de cassation ait déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette question et la réponse n’est pas forcément évidente.
La Haute Cour pourrait en effet suivre des logiques bien différentes :
Ainsi et tout d’abord, la Cour de cassation pourrait faire primer la logique économique :
Dans un tel cas, le licenciement du salarié – suite à son refus de télétravailler alors que la modification de son organisation de travail repose sur un motif économique – pourrait être considéré comme valable.
Il reviendra toutefois à l’employeur de pouvoir justifier du motif économique invoqué.
Bien que les faits ne soient pas similaires, une décision rendue par la Cour de cassation le 21 septembre 2017 (n°16-18723) fait réfléchir :
Dans cette affaire, une salariée avait été licenciée pour motif économique après avoir refusé une proposition de modification de son contrat de travail afin de remplacer 23 journées de télétravail par 23 journées de travail in situ.
Son licenciement a été considéré sans cause réelle et sérieuse. Toutefois, le motif retenu par la Cour de cassation est le suivant : « la société n’établissait pas l’existence d’une menace sur la compétitivité du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient, ni l’existence de difficultés économiques de ce secteur d’activité à l’origine de la modification du contrat de travail de la salariée ».
Vu la rédaction de l’arrêt, le licenciement aurait donc peut-être été validé si la réalité du motif économique avait été prouvée par l’employeur, alors même pourtant que ce dernier ne peut pas – en temps normal – mettre fin au télétravail sans l’accord du salarié (soc. 12 février 2014 n°12-23051).
A l’inverse, la Haute Cour pourrait aussi décider de retenir le bouleversement dans l’organisation de travail que pourrait induire un passage en télétravail à 100% pour empêcher tout licenciement – même ayant un motif économique – suite au refus par le salarié d’accepter le télétravail proposé.
Un an après le début du 1er confinement, plusieurs enquêtes ont fait apparaître diverses dérives liées au télétravail à 100% : temps de travail excessif, empiètement entre vie professionnelle et vie personnelle, difficulté à déconnecter, sentiment d’isolement, motivation dégradée, charge mentale alourdie…
Tout cela engendrant un sentiment d’insécurité chez les salariés, mal-être, anxiété, détresse psychologique, voire situations de burn-out.
Le contexte actuel (privations des libertés individuelles, angoisse liée au virus, absence de perspectives à court terme…) accentue certainement tous ces risques.
Il n’en demeure pas moins que la réalisation d’un télétravail à 100% pourrait indéniablement être source de risques potentiels pour la santé des salariés concernés, ce même dans le cadre d’un contexte de vie normale.
Or, le droit du travail est, par principe, un droit protecteur des intérêts du salarié. A ce titre, l’employeur est soumis à une obligation de sécurité vis-à-vis de tous ses salariés.
La Haute Cour pourrait donc juger excessif que l’employeur puisse – sur la base d’un motif économique – pousser un salarié à accepter un télétravail à 100%, ce au surplus dans la mesure où le principe régissant la matière est celui du volontariat.
Une solution intermédiaire pourrait également exister :
La Cour de cassation pourrait exiger de l’employeur – outre un motif économique avéré – qu’il puisse garantir prendre toutes les mesures nécessaires pour pallier aux risques précités, telles notamment :
- La mise en place de réunions d’équipe périodiques, pour permettre un contact présentiel entre salariés
- Des conditions facilitées de retour dans les locaux de l’entreprise à la demande des salariés
- La mise en place d’entretiens réguliers avec chaque salarié (la loi prévoyant uniquement un entretien annuel)
- Des mesures pour prévenir l’isolement du salarié
- Des mesures pour assurer le respect du droit à la déconnexion
- La fourniture d’équipements de travail ergonomiques
- La mise en place d’une cellule d’accompagnement
- Une formation des managers aux risques psychosociaux etc…
A ce jour et au final, une seule certitude : le télétravail fera encore couler beaucoup d’encre et la jurisprudence en la matière (très peu abondante actuellement) a vocation à se densifier de sorte à préciser les contours de ce mode d’organisation du travail qui a incontestablement de l’avenir !